Récemment, Valeo et la presse ont annoncé avoir développé un moteur électrique innovant EESM (Externally Excited Synchronous Motor) sans aimants ni terres rares, en collaboration avec l’allemand Mahle. D’après l’équipementier français, cette technologie représenterait une avancée significative dans le domaine des moteurs électriques, capable d’égaler voire de surpasser les performances des moteurs à aimants permanents. Pourtant, en creusant un peu, on se rend compte qu’il s’agit aussi et surtout d'une opération marketing et économique.
En lisant cette nouvelle dans l'Argus, j'ai comme eu l'envie d'étayer un peu le sujet pour mes lecteurs adorés ...
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il ne s’agit pas d’un moteur asynchrone classique (car induction rime systématiquement avec asynchrone), mais bien d’un moteur synchrone à excitation externe, une architecture inédite qui cherche à améliorer le rendement à haut régime, sur autoroute donc. Et si ce n'est pas vraiment une révolution au premier sens du terme (en terme de rendement rien d'extraordinaire puisque les moteur actuels sont presque déjà au plafond), ça reste toutefois une nouvelle manière de faire. C'est donc un moteur synchrone à rotor bobiné qui remplace le contact par balais par une transmission électrique par induction, non physique donc).
Notez aussi et surtout que cette idée date depuis les années 2010 et que ZF propose aussi ce type de produit.
L'article a été corrigé car il prétendait (à tort) dans un premier jet qu'il s'agissait d'un moteur asynchrone qui induisait des glissements et donc plus de pertes.
Habituellement, un moteur synchrone utilise des aimants permanents (ou un rotor bobiné alimenté par contact mobile = balais) pour générer le champ magnétique du rotor, mais dans le cas de l’EESM, l’excitation est réalisée par induction. Cela permet d’éliminer les contraintes liées à l’approvisionnement en terres rares (aimants, qui ne sont pas rares contrairement à ce que laisse penser cette dénomination) tout en offrant un contrôle précis du champ magnétique.
Cette solution est donc avant tout une alternative aux moteurs synchrones à aimants permanents (PMSM), largement utilisés dans l’industrie automobile pour leur rendement optimal et leur simplicité. En supprimant les aimants, Valeo réduit l’empreinte carbone du moteur de 30 % par rapport à un PMSM classique, ce qui constitue un argument de poids dans un contexte où la durabilité environnementale devient un critère clé pour les constructeurs.
Attention toutefois, en termes de fiabilité ce type de moteur sera forcément moins pérenne ..
Contrairement aux moteurs à aimants permanents, il ne nécessite pas de défluxage à haute vitesse, une technique qui consiste à injecter un courant supplémentaire pour limiter la force contre-électromotrice générée par les aimants. Ce phénomène entraîne une surconsommation d’énergie et une baisse de l’efficience des moteurs PMSM à haut régime (=haute vitesse).
Avec l’EESM, ce problème disparaît, permettant un gain d’autonomie sur les longs trajets qui sont propices aux hautes vitesses (par exemple, Tesla et d'autres constructeurs utilisent des auto à deux moteurs [donc 4X4] qui permettent d'utiliser le moteur asynchrone [essieu avant] sur autoroute et l'autre moteur [essieu arrière] à aimant permanent aux plus basses vitesses). De plus, l’absence d’aimants et la réduction du poids du rotor limitent l’inertie du moteur, ce qui optimise encore davantage ses performances.
L'Argus met aussi en avant l'utilisation d'un bobinage qui est cette fois carré plutôt que rond. En réalité cela a un nom technique bien connu, à savoir un bobinage "en épingle à cheveux" (hairpin winding), censé améliorer l'efficacité du moteur. Là encore, ce n’est absolument pas une nouveauté. Ce type de bobinage, qui utilise des fils de cuivre plats au lieu de fils ronds, permet certes de mieux remplir le stator et de limiter les pertes d’espace, mais il est déjà utilisé par de nombreux constructeurs. En bref, c’est une technique bien mature et non une révolution.
Ce type de bobinage permet un meilleur remplissage du stator en cuivre, ce qui réduit les pertes électriques et améliore le rendement global du moteur. D’après Valeo, cette avancée permet d’augmenter la densité de puissance de 30 % par rapport à la génération précédente de moteurs électriques.
Autre point mis en avant par Valeo : l’électronique de puissance qui permettrait d’optimiser le fonctionnement du moteur et de compenser l’absence d’aimants. Selon eux, leur gestion électronique sophistiquée permettrait d’atteindre des performances équivalentes à celles d’un moteur à aimants permanents. Mais là encore, c’est une promesse à relativiser.
Tous les moteurs électriques nécessitent une électronique de pilotage avancée, et les constructeurs travaillent depuis des années à améliorer leurs algorithmes pour maximiser l’efficience. Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’un moteur à induction demande un contrôle plus précis que celui d’un moteur synchrone à aimants. Ce que Valeo présente comme une avancée technique est en fait une nécessité imposée par la nature même des moteurs électriques.
Si Valeo met en avant l’argument écologique pour justifier l’abandon des terres rares, il est très possible que cette décision soit aussi motivée par des raisons économiques et stratégiques. Les terres rares, et notamment le néodyme et le dysprosium, sont des matériaux coûteux, dont le prix varie fortement en fonction des tensions géopolitiques (Valeo mentionne même ce point dans les qualités de son nouveau moteur, montrant que c'est un critère décisif). La Chine contrôlant l’essentiel de leur production et de leur raffinage, la dépendance des équipementiers est un vrai problème, avec le risque de ruptures d’approvisionnement ou d’envolée des prix. En se détachant de ces matériaux, Valeo sécurise sa chaîne de production tout en réduisant les coûts liés à l’achat de ces composants. Au passage, notons qu'il soit dommage que l'Ukraine voit ses terres rares partir pour les Russes et les USA qui vont se partager le gâteau, alors qu'il semblait évident que notre vieux continent en profite en priorité (de quoi encore alimenter l'idée que nos dirigeants travaillent avant tout pour des intérêts extérieurs).
De plus, l’extraction et le traitement des terres rares sont particulièrement polluants, ce qui donne un argument marketing puissant à ceux qui veulent se positionner comme des acteurs de la transition écologique (greenwashing).
Il ne faut pas non plus négliger la volonté d’améliorer la marge bénéficiaire : un moteur à induction est potentiellement moins cher à produire à grande échelle qu’un moteur à aimant permanent, même si son contrôle électronique est plus complexe. Enfin, cette orientation pourrait aussi éventuellement refléter une limite technique chez Valeo, qui ne disposerait peut-être pas de la capacité industrielle ou technologique pour développer un moteur performant à aimants permanents à toutes les plages de régimes.
En clair, derrière la façade verte, c’est possiblement une décision pragmatique dictée par des contraintes économiques et industrielles.
En résumé, ce que Valeo nous vend comme une révolution est en réalité une simple évolution d’un moteur à rotor bobiné bien connu, combiné à un bobinage à épingle à cheveux et une électronique de puissance "optimisée". Si l’idée de se passer de terres rares est intéressante, il faut rappeler que ce type de motorisation n’a rien de très nouveau et qu’elle présente des inconvénients notamment en termes de fiabilité (le rotor doit recevoir de l'énergie contrairement à un aimant).
On a donc plus affaire à une belle annonce marketing qu’à une véritable rupture technologique au premier sens du terme, à savoir remplacer les balais par de l'induction (quant aux épingles à cheveux, ça existe déjà et ça n'est pas une innovation, bien que ce soit l'un des principaux arguments lors de la présentation de ce moteur).
Ecrire un commentaire
(Tri par ordre de longueur de l'avis)
(Tri par ordre chronologique)
Etes-vous satisfait de votre concessionnaire ?
© CopyRights Fiches-auto.fr 2025. Tous droits de reproductions réservés.
Nous contacter - Mentions légales
Fiches-auto.fr participe et est conforme à l'ensemble des Spécifications et Politiques du Transparency & Consent Framework de l'IAB Europe. Il utilise la Consent Management Platform n°92.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant ici.